Portrait : Federico Crespo

Vivre en Angola - 20 novembre 2012

Federico CrespoPrésenter l'économie du pays, parler de son passé, de ce qu'on peut y visiter, montrer ses paysages... Cela ne suffit pas à décrire la vie en Angola. La vision de ceux qui y vivent est essentielle: Angolais, résidents étrangers, expatriés... Tous ceux qui, au travers de leur propre histoire, lèvent un voile sur l'histoire de ce pays. C'est la raison pour laquelle "vivre en Angola" s'enrichit de portraits d'hommes et de femmes qui ont quelque chose à raconter. Voici le premier de ces portraits :

>Nom : Federico Crespo

Nationalité : Française (et résident Angolais)

Profession : Chef d’entreprise (ou plutôt Chef d’entreprises)

Ce qu’il aime le plus en Angola : La joie de vivre des Angolais et leur musique

Ce qu’il aime le moins : Le trafic de Luanda, comme beaucoup !

Lieux favoris : Mussulo, Ilha, le Coconuts et le Cafe Del Mar bien évidemment

Plat favori : Moamba de galinha (Le poulet à l’huile de palme… de sa belle-mère)

Mot favori en portugais : « Saudade », mais également « Bem fixe » (Traduisez Cool, tout va bien)

Restaurant coconutsAvait-il choisi de venir en Angola ? « Absolument pas ! » Pour faire son service national (VSNA à l’époque), il avait donné ses desiderata : Amérique du Sud, Europe, ou Asie du Sud Est. Perdu ! On l’avait envoyé en Afrique aussi sec ! Luanda. Il a d’abord cru que c’était le nom d’un pays. Impossible de localiser « Lu-an-da » sur la carte ! Quand il avait compris qu’il s’agissait en fait de la capitale de l’Angola, un pays en guerre à l’époque, il n’a pas sauté de joie, et ses parents non plus. C’était en 1990.

Est-ce qu’il avait aimé l’Angola à son arrivée ? Non plus. « Il faut bien trois mois pour se faire une idée. Après, on s’y sent très bien, ou on déteste. Pas de moyen terme possible. Moi je suis tombé amoureux. » De l’Angola,… et évidemment d’une Angolaise !

Ce qu’il aime le plus dans ce pays ? Ce petit côté « Afrique latine » ; une expression qui pour lui résume l’ensemble : « les gens et leur joie de vivre, leur musique ». Paradoxal pour un pays qui a vécu trente années de guerre !.. Pour ce Français qui possède des racines en Amérique Latine, l’Angola semble avoir un pied de chaque côté de l’Atlantique, presqu’à cheval entre deux continents. Au bout du compte, parti pour dix-huit mois de mission au service économique de l’Ambassade de France, Federico n’a pas quitté l’Angola depuis 22 ans, et il y est devenu chef d’entreprise. Je crois bien que cela doit correspondre à peu près à la moitié de sa vie !

LuandaPourquoi a-t-il pris la décision de rester ? Apparemment, pour plus d’une raison ! A la fin de sa mission, on était en 1992. Un accord de paix venait d’être signé. Tout le monde voulait y croire. Federico aussi. C’était pour lui le meilleur moment de se lancer. Il ouvrit alors le premier pub de Luanda : le « Bar aberto », en plein cœur de la capitale. Il annonça en même temps à ses parents qu’il n’avait pas l’intention de rentrer, qu’il montait « sa boîte », qu’il allait épouser une Angolaise, et qu’elle était enceinte. C’était plutôt osé, et que partiellement préparé. Le Bar Aberto, Federico en parle comme d’un lieu improbable qui rassemblait tout type de populations : des Blancs, des Noirs, des Métis, des diplomates même, tous ceux qui voulaient prendre du bon temps et croire en un changement. Le pays était effectivement à un tournant de son histoire.

Qu’est-ce qui a changé ? Le gouvernement a à ce moment-là mis fin aux tickets de rationnement et a ouvert un peu plus les frontières. Pour Federico, le passage à l’économie de marché était une aubaine, des opportunités qu’il fallait saisir. La population avait avant tout besoin de produits alimentaires de base. Qu’à cela ne tienne : Federico s’est mis à importer de la farine, puis de la levure. Parier sur la consommation de pain était un pari forcément gagnant. C’est ainsi qu’en 1993, Federico a pu, avec de la farine, acheter « une baraque sur la plage d’Ilha » qui allait devenir, au terme de cinq ans de travaux, le fameux « Coconuts ». Federico s’est toujours intéressé à la restauration. De formation école de commerce à la française, il avait tout naturellement fait ses débuts « Chez Mac Do ». Pourtant, aujourd’hui, il admet que celle qui fait tourner le Coconuts, c’est sa femme. Lui s’occupe davantage d’importer et de distribuer des produits de grande consommation. Il ne vend plus seulement de la farine ; son entreprise « Oxbow », c’est tout un tas de produits de grandes marques comme Elle & Vire, Panzani, L’oréal, destinés aux restaurants, aux super et hypermarchés etc. Là encore, c’était bien vu. Il ne fait aucun doute que la grande distribution a explosé dans ce pays ; Quand Federico est arrivé à Luanda, il n’y avait guère que trois enseignes importantes dont Intermarket, et Jumbo. Impossible de ne pas se rappeler les rayons parfois quasiment vides qui accusaient les problèmes d’approvisionnement. Aujourd’hui, les Maxis les Casas Dos Frescos sont toujours plus nombreux. Et si, comme l’annonce le gouvernement, le commerce informel de la rue doit laisser place au commerce organisé, la grande distribution n’a pas fini son expansion ! Mais Federico avait identifié d’autres créneaux porteurs. Comme il le dit lui-même, pendant que sa femme s’occupait du restaurant, lui faisait du « relationship »… sur les transats du Coconuts. C’est ainsi en tout cas qu’il a rencontré un ami agronome, lui aussi ancien « VSN ». Ensemble ils ont donc décidé, sur les transats, de se lancer dans l’importation et la distribution de produits agricoles ; l’entreprise s’appelle Sirius. Là encore, Federico mise sur le potentiel de l’Angola : si les terres cultivées sont peu nombreuses, le réservoir de terres cultivables est énorme.

Plage de MussuloTout en écoutant l’histoire de Federico, je noircis la sixième page de mon bloc notes. Je n’ai guère abordé que la
sphère professionnelle et je me demande si sur la question des loisirs, Federico sera tout aussi prolixe. Mais il semblerait que sur ce point on puisse résumer les choses en quelques mots : Mussulo, Mussulo, Ilha et Mussulo. Sa femme et lui affectionnent tout particulièrement les deux presqu’îles de la capitale ; Federico se dit finalement plus Luandais qu’Angolais. Mais que faut-il penser des transformations qui se sont opérées sur ces deux petits coins de paradis, quand on a connu les côtes sauvages, les cabanes de pêcheurs typiques et l’air pur qui y régnait il y a quelques années ? Federico répond, après une petite seconde de réflexion : « On a effectivement abandonné les paillottes et les caisses de bières au soleil sur la plage, au profit des maisons climatisées de nos amis et des boissons gardées au frais dans leurs réfrigérateurs. Et ma foi, je ne m’en plains pas ! »

Au bout du compte, Federico n’est pas de ceux qui dépeignent le pays en noir, au contraire. Il salue les progrès accomplis ces dernières années, même s’il a conscience qu’il reste encore beaucoup à faire. Il garde encore l’image de ce qu’était Luanda au début des années 90. « On se serait cru projeté dans les décors d’un film de science-fiction, au lendemain d’un cataclysme. Tout avait été détruit ou presque, et ça et là, dans la ville, on devinait les vestiges d’une civilisation passée, des néons qui s’éclairaient plus ou moins dans des bâtiments en ruine, quelques vieilles voitures… » Federico se souvient amusé de sa 4L de l’époque, qu’il avait peinte en rose pour ne pas qu’on la lui vole. « Les gens fuyaient les campagnes où les combats reprenaient de plus belles en 1992 et venaient trouver refuge dans la capitale. Luanda constructionsLes Sud-Africains étaient partis, les Cubains étaient en partance. Et bientôt les Libanais allaient arriver pour faire du commerce. » Une nouvelle révolution. Depuis, les infrastructures ont été reconstruites, de nouvelles routes, de nouveaux buildings, de nouvelles écoles, de nouveaux hôpitaux. Encore insuffisant au regard des quelques 7 millions de personnes environ que l’on croit dénombrer à Luanda (Il n’y avait guère que 500 000 personnes au départ des Portugais, environ 1 million au début des années 90). Mais dorénavant la croissance est à marche forcée. Federico est convaincu que l’Angola serait d’ailleurs un pays prospère si les accords de paix de 1992 avaient été suivis d’effet, et si les combats redoublés n’avaient pas achevé de détruire ce qui était encore debout. Pour lui, les Angolais ont beaucoup perdu dans ces derniers combats, au-delà même des infrastructures de leur pays. Amenés à lutter pour leur survie, ils ont perdu leurs repères, une partie de leurs valeurs aussi peut-être et sont passés au « chacun pour soi ». Ils avaient espéré la paix, ils ont vécu l’horreur. Ils ont laissé là leurs illusions et cette sorte de « naïveté » qui les caractérisait selon Federico et qui les rendait sympathiques. « Ils n’étaient ni matérialistes, ni égoïstes. » Mais le « chacun pour soi » s’est imposé. Aussi, pour Federico, le défi majeur que les Angolais doivent encore relever dans les années à venir, après la reconstruction des infrastructures, c’est leur propre reconstruction, le pansage de leurs plaies. Renforcer les ressources humaines, l’éducation, notamment civique, réduire les asymétries sociales. Mais le chemin déjà parcouru rend Federico optimiste quant au chemin encore à parcourir !...

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